Je suis né en 1935. L’année du Ruban Bleu remporté par le paquebot Normandie. Une référence ! Je suis apparu dans un village ardennais de la Vallée en pleine révolution industrielle française et la montée d’un certain Hitler. Un programme ! Une petite fée lutine venue des bois environnants s’est assise sur mon berceau et ma dit : « Tu seras têtu, brave gars, plutôt grognard, beau séducteur et homme libre ! » J’ai été tout cela, et à part « beau séducteur » il y a encore du reste dans la gamelle. On commence par les « cours complémentaires » de l’époque qui ne furent pas terminés à cause du charme des jeunettes sur ma sensibilité d’adolescent. Question boulot, alors là, je suis servi comme à une grande cantine ; secrétaire de mairie, préparateur en pharmacie (très peu à cause de l’odeur de l’éther et des bocaux de sangsues) puis tourneur sur métaux (CAP en poche) wagonnier en bouteilles d’eaux minérales dans les souterrains de l’ancien Bercy interrompu par le « maintien de l’ordre » en Algérie… J’ai pas vu de maintien mais j’ai été obligé de faire la guerre ! Retour aux civilités, me voilà émailleur dans une petite boîte de la rue des Amandiers, pas le moindre amandier mais un taf dur-dur avec les cuissons des émaux et le décapage à l’acide de la ferraille. Ras la cafetière ! Le chômage pendant… trois jours. Et voilà que je me crapahute comme comptable chez un producteur de films aux Champs Elysées ! L’âge d’or des copains, du music-hall, Brassens, Ferré, Brel, Ferrat : pour moi les trois mousquetaires et le d’Artagnan de nos virées ; les premières de cinéma ou de théâtre grâce aux invitations de mes commerciaux. C’est l’orgie des spectacles ! Ensuite, mai 68 dresse ses barricades, brûle ses bagnoles, caillasse les C.R.S , le ton change, le temps vibre, la vie bifurque. Les Ricains envahissent le cinoche à leur manière, la future comptabilité se modernise et commence à sortir le rasoir des suppressions, alors basta, je vise l’embauche à… la R.A.T.P ! Ne riez pas ! A l’époque on entrait à la « r’tap’ » avec la réputation du plutôt ringard esclavagiste qui allait gagné moins et travailler plus (déjà en ces temps reculés). Il y a eu du vrai au début, mais ça s’est bien arrangé par la suite et loin de moi de cracher dans la soupe. En dehors du métro, je remuais le balai dans des bureaux comme « homme de ménage », je continuais du dessin de presse exploité auparavant, et je peinturlurais quelques toiles s’il me restait une tranche de relaxe. J’allais oublier les chantiers de peinture et tapisserie chez les particuliers. Retraite ! Ah ! Retraite ! Que de rêves fait-on en ton nom. J’expose des tableaux et des dessins de Georges Brassens à Sète et Pézenas. Des frustrés de mes créations et amis me conseillent de créer une Association loi 1901 pour des éditions de cartes postales sur le thème de mon moustachu. Ainsi fut fait, et ça dure depuis 1992… Ça s’appellera « l’Imagerie de la Hulotte » Voilà. Je suis vanné de vous avoir déballé le sac à dos de mes privativités, c’est pas du confit de cerises au kirsch, plutôt un pudding de restes du passé, de Monsieur mon Passé comme le chantait Léo Ferré ; c’est comme ça et il faut faire avec. Maintenant j’ai mes chats, comme qui vous savez, après avoir eu mes chiens, j’ai toujours heureusement ma femme, j’essaye de freiner le temps en bloquant les aiguilles du réveil, hélas, ça ne marche pas, il va falloir chercher autre chose.
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